Vendredi 12 juin 1789

Beau temps, quoique très brumeux ; bonne brise depuis l’E. jusque au S. E.

Nous vîmes cette après-midi voltiger un nombre d’oiseaux de plusieurs espèces qui nous indiquaient le voisinage de la terre. Au soleil couchant nous examinâmes avec attention l’horizon et nous fîmes bon quart en avant toute la nuit. Cette soirée, nous prîmes un butord que je gardai pour le dîner du lendemain.

À trois heures du matin, quel fut l’excès de notre joie, lorsque nous découvrîmes l’île de Timor qui nous restait depuis l’O. S. O. jusqu’à l’O. N. O. ! je fis tenir le lof, le cap au N. N. E. jusqu’au jour ; alors la terre nous resta depuis le S. O. ¼ de sud, à environ deux lieues de distance, jusqu’au N. E. ¼ de nord à sept lieues. Je n’essayerai pas d’exprimer la sensation délicieuse que nous éprouvâmes tous à cette vue si désirée de la terre. Avoir pu gagner la côte de Timor en quarante et un jours depuis l’île de Tofô, avoir fait cette route de 3 618 milles marins mesurés au loc, dans une chaloupe ouverte et malgré notre extrême disette, n’avoir pas perdu un seul homme dans toute cette traversée ; c’est un événement auquel il est presque impossible d’ajouter foi.

J’ai déjà dit que j’ignorais la situation de l’établissement qu’ont les Hollandais dans cette île ; j’avais seulement quelque idée qu’il devait être dans la partie du sud-ouest. C’est pourquoi, lorsque le jour fut fait, je fis arriver au S. S. O., en élongeant la terre ; je le fis avec d’autant plus de raison que le vent ne nous aurait pas servi pour aller au nord-est, à moins de perdre beaucoup de temps.

La lumière du jour nous fit paraître l’aspect de la terre très agréable ; elle était entremêlée de forêts et de plaines de verdure ; l’intérieur du pays était montueux, mais le voisinage de la côte était bas. Vers midi, la côte parut plus élevée, avec quelques caps avancés. Le pays en général nous sembla délicieux, plein de sites charmants, et cultivé par espaces ; mais nous n’aperçûmes dans tout cela que quelques petites cases ; ce lui me fit juger qu’il n’y avait point d’habitation d’Européens dans cette partie de l’île.

La mer brisait violemment à terre, ce qui rendait le débarquement d’une chaloupe impraticable.

À midi, je me trouvai par le travers d’un cap très élevé ; les parties extrêmes de la terre nous restaient en ce moment S. O. 5° 37′ O. et N. N. E. 5° 37′ E. N’étant éloignés de terre que de trois milles, j’eus pour la latitude observée 9° 59′ sud ; la longitude estimée, 15° 6′ O. du cap Shoal, au nord de la Nouvelle- Hollande.

Je donnai à dîner la portion ordinaire de biscuit et d’eau, à quoi j’ajoutai le partage de l’oiseau que nous avions pris la veille ; je donnai de plus au chirurgien et à Lebogue, un peu de vin.