Samedi 13 juin 1789

Nous eûmes un horizon très gras, avec des vents bon frais à l’E. Et à l’E. S. E.

Nous fîmes route toute cette après-midi, en continuant de suivre une côte basse et couverte de bois, où on voyait un nombre infini de lataniers, espèce de palmiste, dont la feuille a la forme d’un éventail. Cette partie de l’île était absolument dénuée de culture, et son aspect était moins agréable que celui des endroits que nous avions vus plus dans l’est. Cependant, après un petit intervalle de ce pays sauvage et inhabité, le coup d’œil devint plus flatteur ; nous aperçûmes au coucher du soleil, plusieurs fumées, et des habitants qui défrichaient et cultivaient leurs terrains.

Nous avions fait depuis midi, vingt-cinq milles à l’O. S. O., et nous n’étions plus qu’à cinq milles d’une pointe basse qui nous restait droit à l’ouest, et que j’avais cru, dans l’après-midi, devoir être l’extrémité la plus méridionale de l’île.

Ici la côte formait un grand enfoncement, et dans le fond du golfe, il y avait des terres plates qui ressemblaient à des îles. La côte de l’ouest était écore ; mais depuis cet endroit-ci de la côte, jusqu’au cap montueux, par le travers duquel nous avions passé la veille, la côte est basse et j’ai lieu de croire que la mer y a peu de fond. Je fais remarquer cette situation, parce que la très haute chaîne de montagnes qui traverse l’île depuis sa partie de l’est, vient finir ici ; et tout à coup, l’apparence du pays change en mal, tellement qu’on croirait être dans une autre contrée.

Je me décidai à conserver ma position jusqu’au lendemain matin, dans la crainte de dépasser de nuit quelque établissement ; c’est pourquoi je mis à la cape sous la misaine avec tous ses ris pris, sous laquelle la chaloupe se comporta fort bien. Nous avions dans cet endroit peu de fond, notre distance de terre n’était pas de plus d’une demi lieue ; la partie la plus occidentale de la terre que nous avions en vue nous restait à l’O. S. O.·5° 37′ O. Je distribuai du biscuit et de l’eau pour le souper ; après quoi, la chaloupe tenant fort bien la cape, chacun tâcha de dormir, à l’exception de l’officier de quart.

Nous fîmes servir à deux heures du matin, et nous mîmes le cap à terre jusqu’à la pointe du jour ; alors je m’aperçus que nous avions dérivé pendant la nuit d’environ trois lieues à l’O. S. O., la partie la plus méridionale de la terre en vue nous restant à l’ouest. Comme en examinant la côte, je ne vis aucune apparence d’établissement, nous arrivâmes à l’ouest avec un vent grand frais, et le courant portant au vent, ce qui nous occasionnait une très grosse mer.

La côte en cette partie était haute et boisée, mais nous ne fîmes pas beaucoup de chemin avant de retrouver la terre basse et plate. Voyant alors ses pointes tourner vers l’ouest, je me persuadai une seconde fois être parvenu à la partie la plus méridionale de l’île ; mais à dix heures, nous trouvâmes que la côte se dirigeait encore au sud et qu’une partie de la terre nous restait à l’O. S. O. 5° 37′ O. Nous aperçûmes en même temps des terres hautes, restant depuis le S. O. jusqu’au S. O. ¼ O. 5° 37′ O. ; mais comme l’horizon était très gras, je ne pus décider si ces deux terres étaient séparées ; l’intervalle apparent entre l’une et l’autre n’étant que d’une aire de vent de la boussole. Par cette raison, je fis gouverner sur la plus avancée ; et en l’approchant, je la reconnus pour être l’île de Rotti.

Je retournai alors vers la côte que j’avais quittée ; et là, je jetai le grappin pour pouvoir calculer avec plus de tranquillité ma position.

Nous vîmes en cet endroit plusieurs fumées à terre et les habitants occupés à défricher leurs terrains.

Pendant le peu de temps que je restai mouillé en cette partie, je fus fort sollicité par le maître et par le charpentier, pour les laisser aller à terre chercher des provisions ; j’y consentis après quelques importunités ; mais comme ils ne trouvèrent personne qui voulut les y suivre, ils restèrent à bord. N’ayant séjourné là que pour pouvoir remplir l’objet dont j’ai fait mention, nous continuâmes bientôt après, de faire route en suivant la côte. Nous eûmes le coup d’œil d’un superbe pays qui semblait avoir été formé par la nature en parc de plaisance, entremêlé de bois et de plaines de verdure. La côte est basse et couverte de forêts, où l’on voit s’élever un grand nombre de lataniers qui ressemblent à des plantations de cocotiers. L’intérieur du pays est montueux mais beaucoup moins élevé que celui de la partie de l’est de l’île ; et ici, le terrain paraît beaucoup plus fertile.

À midi, l’île de Rotti nous restait au S. O. ¼ O., à la distance de sept lieues. Je ne pus prendre hauteur mais j’estimai la latitude à 10° 12′ sud.

Notre route depuis hier midi me donna l’O. ¼ S. O. 1° 45′ S. ; chemin corrigé, cinquante-quatre milles. Je distribuai la ration accoutumée de biscuit et d’eau, tant à déjeuner qu’à dîner ; à quoi j’ajoutai un peu de vin pour le chirurgien et pour le nommé Lebogue.