Mardi 2 juin 1789

Le mardi 2 juin, dans la première partie de cette journée, nous eûmes quelques petits grains de pluie, le reste fut beau ; les vents au S. E. bon frais.

Nous employâmes cette après-midi à dormir et nous en avions grand besoin. Comme il y en eut cependant quelques-uns qui n’avaient pas sommeil, je les occupai à faire cuire quelques sèches pour les emporter à bord et pour le dîner du lendemain ; nous en coupâmes d’autres en tranches et les mîmes à sécher : c’était la meilleure provision à mon gré, que nous pussions trouver en cet endroit. Mais contre mon attente, on n’en ramassa que très peu.

Je recommandai le soir à tout le monde de ne pas allumer un grand feu et de ne pas le laisser trop briller dans l’obscurité. M. Samuel et M. Peckover furent chargés de cet objet, pendant que je parcourais le rivage pour examiner s’il paraissait possible d’apercevoir notre feu du rivage opposé ; je m’étais assuré qu’on ne pouvait pas le voir de cette partie du continent, lorsque tout à coup l ‘île entière parût jeter des flammes qui pouvaient se voir de bien plus loin. Je courus pour en apprendre la cause et je la trouvai dans l’imprudente opiniâtreté d’un de nos gens, qui pendant mon absence, s’était obstiné, malgré les représentations de tous les autres, à vouloir un feu à lui seul ; en allumant ce feu, il s’était communiqué aux herbes voisines qui étaient sèches et avait fait des progrès rapides. Cette action coupable aurait pu causer un très grand malheur, en faisant connaître notre position aux naturels du pays ; s’ils nous avaient attaqués, nous aurions tous péri infailliblement, victimes de leur barbarie, n’ayant aucune arme, ni même la moindre force corporelle pour pouvoir résister à un ennemi. Je fus privé par cette aventure, du soulagement que j’avais désiré d’un peu de sommeil, et je n’attendis plus que le flot, non sans inquiétude, pour avoir les moyens de mettre en mer.

J’eus pleine mer cette après-midi à cinq heures et demie et j’en déduis qu’elle arrive à dix heures cinquante-huit minutes du matin, les jours de nouvelle et pleine lune. La marée monte de près de cinq pieds ; je ne pus pas observer sa direction, mais je pense qu’elle porte au nord et que j’avais fait une erreur à cet égard à l’île de la Restauration, car j’ai remarqué que le flot arrive successivement plus tard sur cette côte, à mesure qu’on va plus dans le nord.

À l’île de la Restauration, la pleine mer, les jours de nouvelle et de pleine lune, est le matin à 7 h. 10′, à l’île du Dimanche, à 9 h. 19′, à celle-ci, à 10 h. 58′.

M. Samuel et M. Peckover allèrent à huit heures du soir pour veiller des tortues, et trois autres de nos gens furent à la caye de l’est pour tâcher de prendre quelques oiseaux. Tous les autres qui se plaignaient de leur mauvaise santé, se couchèrent, à l’exception de MM. Hayward et Elphinston à qui j’ordonnai de faire la garde. Les gens qui avaient été à la chasse des oiseaux, revinrent vers minuit, n’ayant que douze fous (oiseau dont j’ai déjà parlé et qui a la grosseur d’un pigeon) ; mais, sans la folle opiniâtreté d’un d’entre eux qui s’était séparé des deux autres et avait effarouché les oiseaux, on en aurait pu prendre un grand nombre. Je fus si outré de voir mes projets dérangés par cet homme étourdi, que je le rossai fortement pour l’en punir.

Je vins après cela aux veilleurs de tortues qui qui avaient mis beaucoup de soin à bien remplir leur commission mais qui n’avaient eu aucun succès.

Je n’en fus nullement surpris, parce qu’on ne pouvait s’attendre à voir monter des tortues, après le bruit qu’on avait fait au commencement de la soirée, en éteignant le feu. En conséquence, je les priai de se désister de leur entreprise ; mais ils m’engagèrent de leur permettre de rester encore un peu de temps, espérant trouver quelque chose de plus avant le jour. Ils revinrent cependant vers trois heures sans aucun dédommagement de leurs peines.

Nous fîmes cuire à demi les oiseaux, qui avec quelques sèches, furent toute la provision que nous pûmes nous procurer en cet endroit.

J’attachai à un arbre quelques boutons dorés et des morceaux de fer, pour les Indiens qui pourraient aborder en cet endroit après notre départ. Je vis que mes invalides se trouvaient parfaitement bien du repos de cette nuit. Je fis embarquer tout le monde et nous partîmes à la petite pointe du jour.

Nous fîmes route au N. ¼ N. O. avec les vents au S. E.

À peine avions-nous fait deux lieues, que la mer devint rude, ce que je n’avais pas encore éprouvé depuis que j’étais entré entre les récifs et la côte. J’en conclus que nous étions à l’ouest de quelque chenal venant du grand océan. Nous trouvâmes peu après un grand banc sur lequel il y avait deux cayes de sables ; je passai entre elles, et deux autres pareilles situées à quatre milles plus dans l’ouest, continuant de gagner le nord, et la mer toujours grosse.

Je trouvai vers midi six autres cayes, dont la plupart produisaient quelques arbrisseaux et broussailles. Elles formaient un contraste agréable avec la partie du continent que nous venions de passer, qui n’était formé que de monticules de sable. Le pays continuait d’avoir un aspect montueux ; et la terre la plus au nord, la même que nous avions aperçue de l’île au lagon, présentait à l’œil des espèces de dunes en pente douce vers la mer.

Au sud de cette terre, est une montagne à sommet plat, que j’appelai, à cause de sa forme, la montagne au poêlon. Un peu au nord on voit deux autres montagnes que nous appelâmes les mamelons. Il y avait en cet endroit un petit espace de la côte qui n’était pas sablonneux, et sa partie la plus orientale forme un cap ; après cela la côte tourne au N. O. ¼ N.

J’observai à midi la latitude de 11° 18′ sud.

Le cap dont je viens de parler, me restait alors à l’ouest, à la distance de dix milles. Cinq petites cayes nous restaient depuis le N. E. jusqu’au S. E. ; la plus voisine d’entre elles n’était éloignée de nous que d’environ deux milles ; et une caye basse et sablonneuse qui était entre nous et le cap, restait à l’ouest à la distance de quatre milles. Ma route corrigée depuis l’île du lagon me donna le N. 5° 37′ N. O. trente milles de chemin.

Je suis bien fâché de n’avoir pas eu de moyens suffisants pour m’assurer des sondes ; notre situation ne permettait pas de rien entreprendre qui pût nous causer quelque retard. On peut cependant établir, autant que j’ai pu en juger par les apparences, qu’il y a passage pour un vaisseau par tout où je n’ai pas marqué de dangers.

Je fis le partage de six oiseaux pour le dîner, à quoi j’ajoutai une distribution d’un vingt cinquième de livre de biscuit et d’un quart de pinte d’eau par personne. Je donnai de plus à M. Nelson un demi verre de vin ; il était si parfaitement rétabli, qu’il n’avait plus besoin d’aucune préférence.

Le maître canonnier avait apporté sa montre en quittant le vaisseau ; elle nous avait été jusqu’à ce jour très utile pour régler les temps, mais elle s’arrêta fort mal à propos. Ainsi depuis ce moment, je ne puis plus parler avec certitude des heures de la journée, excepté de celles du midi, du lever et du coucher du soleil.