Lundi 1er juin 1789

Beau temps et bonne brise, qui finit par être carabinée, dans la partie du S. E. ¼ E.

Nous dînâmes à deux heures après-midi, avec chacun trois quarts de pinte d’une étuvée d’huîtres et de sèches, liée avec de petites fèves que M. Nelson me dit être une espèce de dolichos. Après avoir fait notre repas de bon appétit, je n’attendis plus que pour observer le moment de la pleine mer ; je l’eus à trois heures précises et je reconnus que la marée s’élevait d’environ cinq pieds. D’après cela, il est pleine mer en cet endroit, les jours de nouvelle et de pleine lune, à neuf heures dix-neuf minutes du matin. Je reconnus là que le flot portait au nord, quoique j’eusse cru le voir porter au sud pendant que j’avais séjourné à l’île de la Restauration. Il me semble que le capitaine Cook dit avoir trouvé beaucoup d’irrégularité dans la direction des marées le long de cette côte.

Je quittai aussitôt l’île du Dimanche et fis voile pour la caye que j’avais vue dans la partie du N. O. ¼ N. Nous y arrivâmes à l’entrée de la nuit, mais je trouvai qu’elle était tellement défendue et entourée d’un banc de roches, qu’il n’était pas possible d’y débarquer sans courir le risque de défoncer la chaloupe ; c’est pourquoi je fus obligé de mouiller pour passer la nuit.

À la pointe du jour, nous débarquâmes en halant la chaloupe vers un abri, car le vent était très frais en dehors, le fond était de roches et je craignais, en restant sur le grappin, que la chaloupe ne fût emportée au large ; il fallut donc l’échouer pendant le jusant. Des traces récentes de tortues nous firent espérer d’en avoir quelqu’une en restant là jusqu’à la nuit. Cette île sert de refuge à un nombre infini d’oiseaux de l’espèce des fous ; ainsi j’avais lieu de me flatter que je trouverais à m’approvisionner en cet endroit plus abondamment que dans tous les autres où j’avais abordé.

Nous étions là à plus de quatre lieues de la grande terre et sur la plus N. O. de quatre petites cayes, entourées d’un récif de rochers qui est entremêlé de bancs de sables, excepté vers les deux cayes qui sont dans la partie du nord. La partie où nous étions, asséchait à basse mer, et le tout forme une île avec un lagon au milieu, dans laquelle la marée entre ; ce fut à l’entrée de ce lagon que je plaçai la chaloupe.

J’envoyai, comme à l’ordinaire, des détachements à la recherche des subsistances ; mais nous fûmes bien trompés dans notre attente car nous n’obtînmes que quelques sèches et un peu de ces petites fèves, appelées dolichos ; de cela, joint aux huîtres que nous avions apportées de l’île du Dimanche, je composai un mets pour notre dîner et j’y ajoutai une petite portion de biscuit.

M. Nelson qui, avec une autre bande, avait été visiter la caye la plus orientale, revint si faible et si abattu qu’il était obligé de se faire soutenir par deux hommes pour marcher. Il se plaignait d’une grande chaleur d’entrailles, d’une soif ardente, de la perte de sa vue et de lassitude dans les jambes. Je trouvai que ces incommodités lui étaient occasionnées par l’ardeur du soleil qu’il n’était pas en état de supporter et à laquelle il était resté exposé trop longtemps, ayant toujours voulu continuer d’aller et de faire au-delà de ses forces, au lieu de se reposer à l’ombre dès qu’il s’était senti faible et harassé de fatigue. Je trouvai avec satisfaction qu’il était sans fièvre, et dans cette occasion, la petite provision de vin que j’avais si précieusement conservée, devint d’une grande utilité. Je lui en donnai par très petites quantités avec quelques petits morceaux de biscuit trempés dedans ; je le déshabillai et le mis à l’ombre de quelques arbrisseaux touffus. Il commença à se rétablir.

Le maître d’équipage et le charpentier se trouvèrent aussi incommodés, se plaignant de maux de tête et de douleurs d’estomac ; d’autres qui n’avaient point du tout évacué, furent horriblement tourmentés de ténesme ; et il n’y avait presque aucun individu qui ne fût souffrant. On se figura que ces maladies étaient occasionnées par les fèves que nous avions mangées, et quelques uns en furent alarmés au point de se croire empoisonnés. Je ne me sentais nullement dérangé, non plus que d’autres qui avaient, ainsi que moi, mangé de ces fèves. On vérifia enfin que tous ceux qui étaient malades, à l’exception de M. Nelson, l’étaient pour avoir trop mangé à la fois de ces fèves crues ; de plus, M. Nelson me dit qu’à chaque graine ou fruit qu’ils rencontraient, ils étaient sans cesse à l’importuner de questions pour savoir si on pouvait en manger avec sûreté ; et il en conclut qu’il ne serait pas bien étonnant que plusieurs d’entre eux se fussent réellement empoisonnés en mangeant des fruits qu’ils ne connaissaient pas.

Notre dîner, où on avait mêlé de ces fèves, ne fut pas mangé avec le même appétit que celui de l’île du Dimanche ; mais la soupe et les huîtres convinrent à tous, excepté à M. Nelson, que je nourris avec quelques morceaux de biscuit trempés dans un demi verre de vin ; il continua de se remettre.

En me promenant autour de l’île, je trouvai plusieurs débris de noix de coco, les restes d’un vieux ajoupa et les écailles du dos de deux tortues. Je ne vis de traces d’aucun animal quadrupède. Un de nos gens trouva trois œufs d’oiseaux de mer.

Le sol n’est presque que du sable, comme on le voit assez généralement dans de pareils endroits ; il y croissait cependant quelques petits arbres qui nous étaient inconnus. Le lagon était poissonneux mais nous n’y pûmes rien prendre.

Voyant que nous ne pouvions pas nous flatter de pourvoir à nos besoins dans cet endroit, pas même l’eau nécessaire à notre consommation journalière, je pris la résolution d’en partir le lendemain matin, après que nous aurions encore essayé pendant la nuit suivante, de prendre des tortues et des oiseaux. Je pensais aussi qu’une nuit passée à dormir tranquillement, serait un très grand bien à tous ceux dont la santé était dérangée.

La rencontre de cet ajoupa et de ces écailles de tortue prouvent que les naturels du pays ont des pirogues avec lesquelles ils viennent quelques fois sur cette île ; je ne pensai pas cependant que nous courussions aucun danger d’y passer la nuit. Je recommandai néanmoins par précaution d’allumer notre feu derrière le touffu des broussailles pour éviter qu’on ne nous aperçut pendant la nuit.

À midi, j’observai 11° 47′ sud pour la latitude de cette île. Le continent s’étendait vers le N. O. et il était couvert de monticules de sable ; il y avait une autre petite île en dedans de nous restant à l’O. ¼ N. O. 3° N. à la distance de trois lieues ; comme nous étions placés fort bas, je ne pouvais rien voir du récif du côté du large.