Vendredi 1er mai 1789

Le temps fut très mauvais, avec les vents à l’est-sud-est, et au sud-est. À deux heures de l’après-midi, nos gens partirent : ils revinrent très fatigués vers le soir, sans avoir rien trouvé.

Dans le fond de l’anse, il y avait une grotte éloignée d’environ soixante-dix toises du bord de la mer ; il y avait une largeur de près de cinquante toises de rochers qui bordaient la côte ; et le seul passage par où on pût venir à nous de l’intérieur de l’île, était celui dont j’ai donné la description : cette situation nous mettait à l’abri d’une surprise et je me déterminai à passer cette nuit à terre avec une partie de mes gens, afin de laisser plus d’espace aux autres pour dormir à leur aise dans la chaloupe, avec le maître. J’ordonnai à cet officier de se tenir sur un seul grappin et de faire faire le quart pour prévenir une attaque. Je fis bouillir une banane pour chaque homme et leur donnai pour souper cette mince portion, avec un huitième de pinte de grog. Je fixai le tour des quarts pour la nuit ; ceux qui n’étaient pas de service, se couchèrent pour dormir dans la grotte. Nous entretînmes un bon feu devant l’entrée ; et malgré cela, nous fûmes fort incommodés des moustiques, et maringouins.

La même bande repartit à la pointe du jour, suivant un autre chemin, pour tâcher de trouver quelque chose. Ils souffrirent beaucoup du manque d’eau ; mais ils firent la rencontre de deux hommes avec une femme et un enfant. Les hommes les suivirent jusqu’à l’anse et apportèrent deux noix de coco remplies d’eau. Je liai bien vite amitié avec eux, et les engageai à retourner nous chercher des fruits à pain, des bananes et de l’eau. Il nous survint bientôt d’autres Indiens ; et à midi j’en avais une trentaine autour de moi, faisant trafic des objets dont nous avions besoin. Je ne pus néanmoins accorder qu’une once de cochon salé et un quart de fruit à pain à chaque homme pour dîner, avec une demi pinte d’eau, car j’étais bien déterminé à ne pas toucher à la provision d’eau et de pan que nous avions dans la chaloupe.

Je ne vis parmi ces naturels, aucun qui eût l’air d’un chef : ils se comportèrent cependant civilement et furent traitables dans leur négoce, car ils nous donnaient les vivres qu’ils avaient apportés, pour quelques boutons et perles de verre. Le détachement qui était sorti pour parcourir le pays, me rapporta avoir trouvé plusieurs jolies habitations ; ce qui nous empêcha de douter plus longtemps que l’île n’eût des habitants à demeure. Cette connaissance me détermina à ramasser les secours que je pourrais procurer et à faire voile aussitôt que le vent et la mer le permettraient.