Mardi 26 mai 1789

Beau temps et vents bon frais au S. S. E.

Le soir nous vîmes voltiger plusieurs butords qui s’approchaient tellement de nous qu’on en prit un avec les mains. Cet oiseau est de la grosseur d’un bon canard : les marins lui ont donné ce nom, comme au fou, parce qu’ils se laissent prendre l’un et l’autre à la main sur les mâts et vergues des navires.

Nous ne connaissons pas d’oiseau qui donne un indice plus assuré du voisinage de la terre que celui-ci. Je fis tuer cet oiseau pour le souper et j’en fis donner le sang à trois de nos gens qui soufraient le plus de la faim. Le corps, les intestins, le bec et les pieds, furent partagés en en dix-huit portions et en y ajoutant une ration de biscuit que je me fis un mérite d’accorder, nous fîmes un bon souper en comparaison de ceux que nous faisions ordinairement.

Le matin, nous prîmes un autre butord ; ainsi le ciel semblait s’occuper, d’une manière extraordinaire, de soulager nos besoins. Vers midi nous vîmes passer le long du bord, plusieurs morceaux de branches d’arbres, dont quelques-unes paraissaient n’être pas dans l’eau depuis bien longtemps.

Je fis une très bonne observation de latitude, que je trouvai de 13° 41° S. Ma longitude estimée fut 37° de ouest de Tofô. La route O. 5° S. O. ; et le chemin corrigé cent douze milles. Chacun reçut sa portion de l’oiseau, et cette augmentation au dîner répandit la joie parmi nous ; je fis cette distribution comme la veille et donnai le sang à ceux qui étaient les plus affamés.

Nous trempions souvent notre biscuit dans l’eau salée pour le rendre plus appétissant ; quant à moi, j’avais coutume de le briser en petits morceaux, de le tremper dans ma ration d’eau, dans une noix de coco, et de le manger ainsi à la cuillère. Je mettais une attention économique à ne pas prendre de gros morceaux à la fois, afin de faire durer ce mince repas aussi longtemps que si c’en eut été un plus abondant.