Jeudi 4 juin 1789

Beau temps et vent bon frais au S. E. à deux heures de l’après-midi, gouvernant au sud-ouest et nous dirigeant vers la partie la plus occidentale de la terre que nous avions en vue, nous rencontrâmes de grands bancs de sable qui se prolongent jusques-là depuis terre.

Nous fûmes obligés par là de remettre le cap au nord, et quand nous eûmes arrondi ces bancs, je fis gouverner à l’ouest.

À quatre heures, l’île la plus occidentale, de celles que nous avions dans la partie du nord, nous restait au N. à quatre lieues de distance ; l’île du Mercredi à l’est ¼ N. E. à cinq lieues et le cap Shoal (ou du bas-fonds) au S. E. ¼ E. À deux lieues. Nous apercevions en ce moment une petite île, soit dans l’ouest ; j’y arrivai avant la nuit et je trouvai que ce n’était qu’un rocher fréquenté par les oiseaux de l’espèce des butords ; c’est pourquoi je lui donnai le nom de l’île aux Butords (Booby Island). Il y a une petite caye, à toucher la partie occidentale de la côte que j’ai appelée cap Shoal. C’est ici que se terminèrent les rochers et bas-fonds de la côte septentrionale de la Nouvelle-Hollande ; et à l’exception de l’île aux Butords, nous ne voyions plus de terre à l’ouest du sud dès les trois heures de cette après-midi.

J’ai trouvé depuis, que le capitaine Cook a eu connaissance de l’île aux Butords ; et par un singulier rapport d’idées, il lui a donné le même nom que moi ; mais je ne puis pas accorder avec exactitude la situation de plusieurs parties que j’ai vues de cette côte, avec les reconnaissances de cet illustre navigateur ; ce que j’attribue à la forme très différente sous laquelle se présente une côte, vue des hauteurs très différentes d’un vaisseau ou d’une chaloupe. Il s’en faut de beaucoup que je ne prétende substituer la carte que je donne, à celle du capitaine Cook qui a eu de meilleures occasions pour faire ses reconnaissances et qui était parfaitement pourvu de tous les moyens nécessaires. Mon intention principale en donnant cette carte, est de rendre ma relation plus intelligible et de montrer de quelle manière la côte s’est présentée à ma vue, navigant dans une petite barque non pontée.

Je suis presque certain que l’ouverture à laquelle j’ai donné le nom de baie des îles, est le détroit de l’Endeavour, et que notre route a passé au nord des îles du Prince de Galles. Peut-être ceux qui navigueront par la suite dans ces parages, pourront-ils trouver quelque avantage à consulter ces deux cartes et à les comparer ensemble, plutôt que d’en avoir une seule.

À huit heures du matin, nous nous trouvâmes une autre fois lancés en pleine mer. Je fus surpris, à part moi, de voir que notre position, quelque affligeante qu’elle fut, n’affectait aucun des gens de mon équipage autant que je l’étais moi-même ; on eut dit au contraire qu’ils entreprenaient un voyage pour Timor, dans un bâtiment sûr et bien pourvu. Leur air de sécurité me fit grand plaisir et je suis bien assuré que c’est ce qui les a sauvés ; car on peut croire que si un seul d’entre eux se fut laissé abattre par le désespoir, il aurait péri avant de gagner même la côte de la Nouvelle-Hollande.

Je donnai dès lors à mon monde l’espérance d’être rendus dans un pays de ressources, au bout de huit ou dix jours. Nous fîmes une prière à Dieu pour demander qu’il nous continuât sa protection spéciale ; et je distribuai une ration d’eau pour le souper. Je fis route à l’O. S. O. pour me précautionner contre les vents de sud, dans le cas où ils viendraient à souffler avec violence.

Nous avons été juste six jours sur les côtes de la Nouvelle-Hollande, et pendant ce temps, nous avions trouvé des huîtres et d’autres substances marines, des oiseaux et de l’eau. Mais toutes ces nuits passées à bien dormir, et les journées exemptes de travail dans la chaloupe, n’avaient pas été un moindre avantage. Ces causes réunies nous ont sauvé la vie ; quelque petite qu’ait été la provision de vivres que nous y ramassâmes, je sens combien nous en fumes soulagés. La nature était à cette époque prête à succomber sous la rigueur extrême de la faim, de la soif et de la fatigue. Plusieurs d’entre eux auraient cessé d’employer la moindre peine pour la conservation d’une vie lui ne semblait plus leur annoncer que misères et souffrances ; d’autres, quoique plus vigoureux, auraient nécessairement suivi de près leurs infortunés compagnons. Dans notre état actuel, nous étions des objets d’horreur, et cependant nous conservions de la force d’âme et un grand courage, soutenus par l’espoir de voir bientôt la fin de nos malheurs.

Pour ce qui me regarde, quelque étonnant que cela puisse paraître, je n’étais tourmenté extraordinairement ni du besoin de la faim, ni de celui de la soif. Je me contentais de ma portion pareille à celle des autres, parce que je savais qu’il ne m’en revenait pas davantage.

Je donnai ce jour un vingt-cinquième de livre de biscuit et une ration d’eau à chaque homme pour déjeuner ; et à dîner la même distribution eut lieu, augmentée de six huîtres pour chacun. À midi j’eus 10° 48′ de latitude sud par observation ; ma route depuis hier midi valut l’O. ¼ S. O. 2° 15′ O. ; et le chemin corrigé 111 milles ; longitude estimée depuis le cap Shoal, 1° 45′ O.