Jeudi 28 mai 1789

Beau temps et brises fraîches de l’E. S. E. et de l’est.

Le soir nous vîmes un goéland. Je vis les nuages si fixement arrêtés dans la partie de l’ouest, je ne pus plus douter que nous ne fussions très près de la Nouvelle-Hollande.

Chacun, après avoir pris sa portion d’eau pour le souper, commença à se réjouir de l’idée probable de ce que nous allions bientôt découvrir.

À une heure après minuit, l’homme qui était au gouvernail entendit le bruit des brisants. Je levai la tête et je les aperçus en effet sous le vent à nous, presque à nous toucher, c’est-à-dire à un quart de mille de distance, je fis tenir à l’instant le lof au N. N. E. et au bout de dix minutes, nous ne les voyions ni ne les entendions plus.

J’ai déjà rendu compte de mes motifs en atterrant autant dans le sud sur la côte de la Nouvelle-Hollande ; je ne doutais nullement de trouver diverses ouvertures au récif pour pouvoir approcher de la terre. Sachant que la côte courait au N. O. et que les vents règnent fréquemment au sud de l’est, il m’était facile de longer cette barre de récifs, jusqu’à ce que je pusse sans perte de temps. Le courage de tout mon monde était soutenu par l’idée d’entrer dans une eau plus tranquille et d’y trouver quelques vivres.

Leur joie fut très grande lorsque nous nous fûmes dégagés des brisants, dont nous avions été beaucoup plus près que je ne l’aurais cru possible, avant de les apercevoir.

Le matin du jour, je fis arriver, pour nous rapprocher des récifs que nous revîmes à neuf heures. La mer y brisait partout avec violence. Aussitôt que je m’en fus approché, le vent vint à l’est et nous ne pûmes que suivre le long de ce récifs. Nous voyions au-delà l’eau si tranquille, que chacun jouissait d’avance de la satisfaction qu’il se promettait lorsque nous pourrions y parvenir. Dans ce moment, je m’aperçus que nous étions affalés ; je ne pouvais parer les dangers par le secours des voiles, le vent nous ayant coiffés et la mer nous poussait vivement vers les rochers, ce qui rendait notre position très périlleuse. Nous ne pouvions pas produire nos plus grand effet avec nos avirons, nous avions à peine la force de les soutenir. Il devenait à chaque minute plus apparent que notre unique ressource serait de tâcher de nous pousser par-dessus les récifs, en cas qu’il nous fût impossible de nous en éloigner en voguant. Je ne désespérais pourtant pas encore d’y réussir, lorsque par un heureux hasard, nous découvrîmes une ouverture entre les récifs, à environ un mille loin de nous ; nous aperçûmes en même temps, en dedans et en droite ligne de cette ouverture, une île d’une hauteur bornée, qui nous restait à l’ouest 5° 38′ N. O. J’enfilai ce passage, poussé par un fort courant qui portait à l’ouest ; je reconnus que cette entrée avait à peu près un quart de mille de largeur, avec apparence d’une grande profondeur d’eau.

À l’extérieur, le récif courait au N. E. pendant quelques milles, et ensuite au N. O. ; dans la partie du sud de ce passage, le récif courait au S. S. O., autant que j’en pus juger. Je présume qu’il y a un passage semblable à celui-ci vers les récifs que nous avions approchés les premiers, qui sont situés à vingt-trois milles plus sud.

Je ne me rappelais pas la latitude du chenal de la Providence, mais je pensai qu’il était à quelques milles seulement de distance de celui-ci qui est situé par 12° 51′ de latitude méridionale.

Comme nous étions heureusement entrés dans les eaux intérieures et tranquilles en dedans des récifs, je fis en sorte de me tenir près d’eux pour tâcher d’attraper quelque poisson ; mais la marée qui portait vivement au N. O. nous obligea d’arriver dans cette direction ; et comme j’avais promis de prendre terre au premier endroit convenable qui se présenterait, il sembla dès ce moment que tous nos nos maux étaient oubliés.

À midi, j’eus une bonne hauteur qui me donna 12° 46′ de latitude sud : d’où on peut conclure que les situations précédemment indiquées ont été déterminées avec assez d’exactitude. L’île que nous avions d’abord reconnue nous restait à l’O. S. O. à la distance de cinq lieues.

Cette île à laquelle j’ai donné le nom d’île de la Direction, peut servir à montrer la passe dans un beau temps ; elle est droit à l’ouest de l’ouverture et peut se voir, aussitôt que les récifs, de la tête des mâts d’un vaisseau.

Elle est par 12° 51′ de latitude sud. Au reste ces remarques ne seront pas suffisantes pour les faire retrouver par un bâtiment, à moins qu’on ne puisse par la suite vérifier si en effet il y a, le long de cette côte, un nombre d’ouvertures entre les récifs, comme je penche à le croire. En ce cas, on ne courrait presque aucun risque d’aborder cette côte, excepté lorsque le vent porte droit à terre.

Le calcul de ma route me donna 40° 10′ de longitude ouest, de l’île de Tofô au chenal entre les récifs. Le chenal de la Providence est, je crois, à peu près sur le même méridien que celui où nous avons passé. D’où il est résulté que nous nous étions faits trop de l’avant d’un degré 9′.

Nous rendîmes grâces à l’Être de Suprême de la protection spéciale qu’il nous avait accordée ; et ce fut avec contentement que nous prîmes notre mince repas d’un vingt-cinquième de livre de pain et d’un huitième de pinte d’eau à dîner.